Robert Chenard, chef de char du Tank Destroyer "CORSAIRE" a rédigé en 1947 le récit ci-dessous relatant la bataille de Dompaire telle qu'il l'a vécu. Ce texte est extraordinaire, il m'a été transmis ainsi que les photos par son petit-fils, Monsieur Loïc Loison, que je tiens ici à remercier chaleureusement.

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Le TD "CORSAIRE" (n°420 095), du second-maître timonier Robert CHENARD (à gauche en tourelle)
Paris, août 1944, boulevard Raspail
Sur la gauche, le sous-lieutenant de Sivry

 

L'équipage du Corsaire, de gauche à droite : NOE, CLEUET, CANTEAU (Mimi)
Une parisienne semble apprécier le port du bonnet de marin
!
 
L'équipe du "CORSAIRE" pose fièrement en compagnie de belles parisiennes
On distingue le second maître Chenard en tourelle à gauche
 
Défilé du RBFM, le second-maître Chenard se trouve sur la gauche
Photo prise à Baccarat, rue des Ponts (ajourd'hui Adrien Michaut). L'église en arrière plan a été bombardée le 7 octobre 1944
La date est estimée entre le 1e et le 5 novembre 1944
 
A gauche le Second-Maître Chenard et au centre l'Enseigne de Vaisseau Vincent LACOIN
Noter le filet grosses mailles équipant le casque M1

« Thiébaultménil (sic) – c’est de l’autre côté de la forêt de Mondon. Quelques points noirs alignés le long de la route sur la superbe carte d’état-major arrachée dernièrement à un lieutenant boche me disent : 1 clocher – 60 maisons.

Sorti en trombe du chemin forestier, dans le vrombissement des chars et le martèlement sourd des arrivées d’obus, effleurant de justesse l’une des extrémités du village, à l’heure indécise de l’après-midi où la nuit ne tombe pas encore, je n’en ai entrevu que quelques murs gris et quelques bouts de toits roux avant de venir m’arrêter, au coude de la route de Strasbourg à quelques deux cents mètres au-delà de la dernière maison.

Tout le peloton est là, disposé par quelques gestes brefs de notre lieutenant debout sur son A.M. tandis que les chars encore chauds de leur course, du bout de leur long canon parcourent la lisière des bois ou tâtent quelques points suspects. Les hommes du groupe de protection, sautés à bas de leurs Jeeps décrochent des buissons ou décollent des sillons à coups de mitraillette ou de carabine les fanatiques de l’arrière-garde ennemie. Le « Flibustier », près de moi, envoie rapidement deux coups au jugé sur un char qui vient de traverser précipitamment la route à près de deux milles mètres…

Maintenant, devant nous, sur deux kilomètres, seules quelques branches abattues par les obus ou tombées du camouflage de véhicules en fuite troublent le miroir uni, à peine ondulé de cette route goudronnée et humide, brillant dans la vague obscurité des bois noirs et touffus qui, par endroits, l’enserrent. A notre droite, du champ de pommes de terre terne et ridé, engoncé dans une échancrure de la forêt, le Gentil et ses hommes, des fusils aux épaules, des pistolets dans les poches, nous rapportent à la pointe de leurs carabines quelques paquets de prisonniers bras en l’air et visages blêmes. Près de moi, Croce, le mitrailleur, à cheval sur le rebord de la tourelle, de son œil sombre par-dessous le rebord de son casque trop grand, examine à notre gauche les portions de la petite plaine de la Vezouze que lui laissent voir les bois. Je jette un coup d’œil aux pentes grises du coteau qui s’élève peu au-delà. Deux ou trois coups de feu claquent, des glapissements sortent des buissons légèrement en arrière de nous. Puis le calme renaît. Les Jeeps, quelque peu éparpillées dans leur élan, rectifient rapidement leurs positions. Les prisonniers sont dirigés sur l’arrière et les veinards de la protection qui ont fait de bonnes prises manœuvrent « Lugers » ou mitraillettes sous les boutades des équipages de chars avant de partager leur butin avec eux en vertu d’accords conclus tacitement dans les coups durs précédents.

Une pluie fine s’est remise à tomber. Le lieutenant vient nous annoncer que nous passerons la nuit ici. Les chars sont visibles, en renâclant, se recroquevillent dans un fourré ou reculent à l’abri de la route en remblai, ne laissant bientôt plus dépasser qu’un bout de barbotin ou un morceau de tourelle et leur canon que des branchages déforment et que l’œil de la lunette de tir vient de fixer, après quelques oscillations sur un point particulièrement germanophile. Dans les Jeeps, transformées en buisson, avant d’extirper quelques boîtes de dessous les sièges, les mitrailleurs vérifient avec soin l’ajustement des bandes et de champ de battage de leur arme. L’obscurité se fait : le lieutenant vient de donner ses ordres pour la nuit. Bientôt la flamme bleue d’alcool solidifié qui, à l’abri d’une touffe de gazon, chauffait la dernière boîte de « Stew » s’éteint. Je me glisse à travers les branchages, par-dessous la bâche humide, à l’intérieur de la tourelle. A la lueur des lampes du tableau de bord qui se reflète sur les douilles de cuivre des obus prêts à être tirés. CROCE, accroupi parmi les boîtes éventrées de « rations K » nous prépare un peu de café. CHRISTEN, qui vient de s’assurer, une dernière fois du bon pointage de sa pièce, agenouillé, farfouille dans le double fond à la recherche d’un croûton de pain français. Puis NOE et CLEUET, ayant complété le plein avec des nourrices qu’une Dodge vient d’apporter, s’affalent en se tortillant par l’écoutille de conduite. Replaçant soigneusement derrière eux le coin de bâche dégouttant de pluie. Ils s’ébrouent. Regrettant à haute voix sont Algérie ensoleillée. NOE remet sa canadienne au sec sur la boite de vitesses encore tiède et CLEUET tout en essuyant ses cheveux blonds de son mouchoir, me regarde étancher un trou par où pénètre l’eau. Un petit ricanement lui éclate au fond de la gorge.

            «Sale temps, hein ! Chef ! Je suis bien certain que les boches ne contre-attaqueront pas cette nuit. »

Pendant le repas, transmettant les consignes à chacun, je ne pense même pas à le mettre en garde car je sais que son rire n’est pas de l’insouciance mais un défi ; défi aux boches, au temps, au terrain, à tout ce qui pourrait nous empêcher d’accomplir la mission pour laquelle nous avons été jusqu’à abandonner la mer. Brave CLEUET qui, par sa sueur et son savoir, depuis les grèves normandes a toujours fait que le « Corsaire » soit à son poste de combat. Allongé au fond du char, la tête de NOE sur mon épaule et les pieds de CROCE sous mon bras, en m’endormant je lui adresse un regard de reconnaissance. Comme il se détourne sur son siège pour laisser se faufiler CHRISTEN qui sort prendre la veille, la lumière horizontale met des triangles d’ombre sur son visage dur et pâlit sa joue rose où brille une traînée de gas-oil. C’est un mécanicien, CLEUET, un mécanicien de la Marine, de cette Marine Française dont le nom même fut un cri de ralliement pour ces combattants d’Afrique, ces F.N.F.L., opiniâtres, ces évadés de France, ces F.F.I. courageux qui vinrent, intrépides, soutenir cette poignée de marins intègres et obstinés, embryon du régiment. La même flamme nous anime. Le même amour de la mer et de la patrie, trempé au feu de nos combats, nous liant indissolublement. Admirable Marine qui porte ici, sur terre, bien haut son pavillon comme elle l’a toujours porté sur les sept mers où courent le vent du large. Je l’entends, ce vent qui souffle dans la mâture. Le bâtiment doit rouler : une chaîne vient de résonner contre la coque, là encore une fois puis une autre, quel bruit ! A demi-réveillé, je réalise brusquement que ce sont les Allemands qui nous assaisonnent. Je perçois nettement les coups de départ. Voilà le sifflement qui commence, s’amplifie. Avec un choc, l’obus vient de s’écraser dans un déchirement d’acier. En voici un autre puis d’autres, retardataires, pressés, qui arrivent pêle-mêle aux environs du premier. Notre artillerie répond : à son tour leur envoie ses pruneaux. Bon Dieu, ce qu’il en passe ! Râclant de leur ceinture de bronze le silence translucide de la nuit, avant d’éclater dans les lignes ennemies derrière la crête. Quoique, sans doute certains d’entre-eux tombent dans une rue déserte ou tuent une pauvre vache affolée, réfugiée dans un taillis. On ne peut s’empêcher de les voir tous éclater là en plein milieu des troupes allemandes sorties de leurs abris, sur le point d’attaquer.

Voilà trois jours que le peloton, ramassé sur lui-même, agrippé à ce tournant de route, étonné de son immobilité, s’ausculte et s’interroge, dressant l’oreille aux échos de la lutte acharnée que livre l’infanterie, essayant de s’infiltrer dans les sous-bois de la forêt qui recouvre les hauteurs à gauche. Il pleut toujours un peu, par intermittence. Des tentes se sont montées à l’arrière des chars : et le « Mameluck » a même construit dans un bouquet de saules, avec des caisses à munitions et le carton des boites de vivres, une cabane véritable, au toit quasi étanche, sous lequel quatre hommes peuvent se tenir facilement à l’aise en se serrant un peu. Dans le bosquet qui nous cache aux vues de l’ennemi, serrés autour de l’âcre fumée d’un feu de bois vert vivifié de temps à autre d’une giclée d’essence, entre une reconnaissance et un repas de « meat and beans », nous parlons des derniers combats du passage de la Moselle que les chars franchirent, l’eau jusqu’à la tourelle, entre les gerbes d’écume des arrivées d’obus d’un ennemi incapable de nous ralentir ou de ces maisons en flammes, croulantes à Ménil-Flin, à la chaleur desquelles nous nous réchauffâmes avant de continuer l’attaque.

Aujourd’hui, dans la maison derrière nous, de la plus haute fenêtre, le Général Leclerc – jeune père Clémenceau à dit l’habitant sorti de sa cave pour voir au passage – est venu jeter un coup de lorgnette sur le front et chacun, expectant, guette le retour du lieutenant, appelé au P.C. Le voici qui revient, les traits fins et délicats, sa casquette marine, le capuchon bigarré de sa canadienne allemande rejeté dans le dos, ralentissant sa marche par moments pour mieux constater la tension d’une chenille ou l’arrimage d’une Jeep. Chacun se presse autour de la carte qu’il déploie sur le capot d’une jeep après avoir mâchonné distraitement un radis noir piqué délicatement d’entre les mains d’Hodée ? « Voilà ! Les Allemands semblent avoir établi une forte ligne de résistance qui va de Metz à Belfort et passe sans doute à Merviller, là à 4 kilomètres, légèrement à notre gauche. Il s’agit d’aller en reconnaissance jusqu’à ce village vérifier l’exactitude de ces renseignements avant que la Division ne se regroupe et ne fasse un autre bond en avant. Le peloton de Shermans et une section du R.M.T. prendront part à l’opération avec le peloton de T.D. Il est 14 h 08 – Top départ à 14 h 45. »

Les moteurs sont lancés ; leur souffle chaud et puissant ranime instantanément tout le peloton. Les tentes sont démontées, pliées, amarrées le long de la tourelle, les gamelles ramassées. Les armes vérifiées, les chargeurs complétés, des bandes neuves mises aux mitrailleuses. La tête serrée dans mon casque de cuir, les écouteurs aux oreilles, le laryngophone à la gorge, j’essaie l’interphone, CROCE dispose ses obus, CHRISTEN essuie sa lunette, CLEUET surveille le tableau de bord où, dans leur cadran, oscillent les aiguilles. NOE qui vient de jeter un dernier coup d’œil au train de roulement, monte à bord. En route ! Les chars émergent l’un après l’autre de leurs repaires, ses déhalent le long de la route et viennent prendre leurs postes.

L’A.M. est en tête, devant le « Flibustier » qui me précise : « Le Mameluck ferme la marche ; les Jeeps manœuvrent parmi nous. En avant ! »

Les ormes défilent régulièrement de chaque côté. CROCE, le fusil à la main, fouille du regard, par-dessus le rebord de la tourelle, les épais fourrés du bois à notre gauche tandis que j’essaie, après un coup d’œil aux champs à notre droite, de trouver une irrégularité au somment du vallonnement où cesse la route. Voici le chemin, à gauche qui, à angle droit, termine le bois et mène à Merviller. Le « Flibustier » se met en position sur la route nationale face à Bénarménil, le « Mameluck » se glisse dans le bois à gauche. Je longe le taillis à droite du chemin jusqu’à sa lisière. Par-dessus les branchages qui camouflent mon char, je découvre alors le paysage qui, subitement, s’étale devant moi. Bordé sur deux cent mètres par le bois à gauche, le chemin traverse ensuite, plat et presque nu, par-dessus la Vezouze, une étroite plaine verte et fait un léger coude avant de disparaitre dans Merviller aux maisons en partie masquées par les vergers et les haies des jardins potagers.

Derrière le village, sous le ciel gris, s’élève un coteau où poussent quelques bouquets d’arbres, verdi à droite d’un carré de vigne, bistré à gauche de quelques labours traversés d’un chemin en biais.

Longue, râblée, l’A.M. servant d’appât aux armes anti-chars, s’avance sur le chemin. A son bord, près du lieutenant qui, débout, les jumelles à la main, examine les abords du village, le grand GILLIOT, tiré en arrière, l’œil enfilé sur sa mitrailleuse qu’il pointe de ses bras tendus couvre avec précision un pignon de maison, quelques fagots, un coin de verger. Alors quoi ? Les boches ? Nichts ? Soudain, tout près, dans le bois, brève, rapide, par saccades, une mitrailleuse crache son venin. Des coups de fusils et de mitraillette se font entendre aussi. Les balles sifflent. GILLIOT qui s’est retourné étreint plus fort son arme et repousse des assaillants que je ne vois pas d’ici. Le lieutenant se penche et parle au radio. La protection, impatiente, tendue, tapie au coin du bois, s’élance à la suite de M.de SIVRY, son chef, dont je vois par moment le grand corps souple et gris filer le long des buissons ou sauter d’un arbre à l’autre. Dans une éclaircie, entre les branches d’un jeune peuplier aux feuilles déjà jaunes, le GENTIL, un genou à terre, sur le point de bondir, des grenades accrochées à son fourniment, la carabine au poing, le visage rouge sous son casque d’acier, vociférant, un instant m’apparait. Dans la pénombre du sous-bois, le crépitement lumineux des mitraillettes s’éloigne rapidement. Voilà la deuxième que NOE me tape sur le pied et, par geste, m’interroge. Il a l’air si malheureux d’être là, au fond du char, à son poste d’aide conducteur, inutile, que je le laisse me brancher la radio et monter à la mitrailleuse. Les Shermans passent. Sur un signe du lieutenant, je prends la quatrième place. Il s’est remis à pleuvoir. Les fantassins, vêtus de leur ciré, mitrailleuse à la hanche ou fusil à la main, la poitrine bardée de grenades, courbés, cheminent à l’abri des chars dans le fossé qui longe la route. Tandis que nous marquons un temps d’arrêt à la corne du bois, ils traversent la Vezouze à cent mètres devant nous. Mais maintenant, de toute part, l’ennemi les mitraille.

Enveloppés de fumée, crachant le feu, les chars rappliquent. La pluie froide me coule dans le dos, court-circuite spasmodiquement mon interphone et trouble mes jumelles à l’aide desquelles je m’efforce de discerner l’ombre d’un train de roulement ou le canon d’une pièce dans le fouillis d’une haie ou à l’angle d’une maison. NOE, debout sur l’arrière du char, un juron arabe à la bouche, le sourire aux yeux, s’en donne à cœur joie.

Un blessé revient. Dans le suprême effort qui lui déforme les traits il ne songe même plus à s’abriter et marche droit dans le pré au bord de la route. Il n’a pas lâché son fusil et, la cartouchière sur l’épaule, le ciré déboutonné, la chemise relevée sous son blouson ouvert, de sa main droite il se presse un pansement sur le ventre ; le sang suinte entre ses doigts boueux que la pluie a ridés. « ça n’est rien » dit-il aux infirmiers qui veulent l’emporter, « allez plutôt au pont. J’en ai vu un, l’épaule déchiquetée, la gorge sanglante, pantelant, se cramponner aux roseaux qui bordent la rivière ». Et les infirmiers vont, pliés sous le brancard. Je cherche des yeux la mèche blonde et béret de matelot d’une Marinette. Non ! Elles ne sont pas à la fête aujourd’hui.

Les deux premiers tanks montent à l’assaut mais l’ennemi tient le pont sous le feu de ses armes anti-chars. L’un réussit à s’abriter derrière la route surélevée. L’autre s’embourbe dans le pré voisin dont l’herbe trop verte dissimule un marécage. Un « recovery », cubique hérissé de faux canons, se porte à son secours mais le boche a vu la proie facile et les détruit tous deux. En doublant le Sherman qui me précède pour le protéger et en venir aux prises avec les canons anti-chars, le bord détrempé de la route étroite s’effondre. Les obus pleuvent autour de nous, mais le lieutenant, attentif aux efforts du T.D., à son habitude, semble ne pas s’en apercevoir. Enfin CLEUET, de ses doigts nerveux et de son pied sûr, redresse le char qui gronde et qui frémit, haletant, à demi renversé, labourant le sol de ses chenilles de fer et vient le ranger à la première place, place que chacun envie. Le « Mameluck », la coque couverte de branchages vient se placer derrière moi. A travers les gerbes de boue et de fumée des obus qui tombent juste devant nous, de nos canons qui s’échauffent et qui, à chaque coup, tressaillent, nous crevons les buissons à l’entrée du village et ceux au pied du sapin et aussi le coin de cette maison douteuse qui s’enflamme. CHRISTEN, au passage, ajuste une voiture qui fonce sur la route à gauche de Merviller. Le Sherman que les boches n’ont pas eu vient de regagner la route. Le sol tremble comme il passe près de nous, filant vers le hâvre que lui procurent nos canons. Le crépuscule approche. Au loin, les brancardiers ramassent quelques blessés. Les fantassins qui se battent à coups de grenades dans les jardins viennent de recevoir l’ordre de décrocher. En voici qui arrivent, marchant dans l’eau jaunâtre qui s’accumule au fond de la rigole en contre-bas du chemin. Un grand capitaine russe (Djambekoff) ferme la marche et, d’un français guttural, active les plus harassés. Comme ils passent près de nous, le souffle embrasé de nos canons plaque leurs vêtements humides et illumine leurs visages figés et sales et leurs yeux agrandis qui nous remercient. Le « Flibustier », derrière nous, tout en combattant, remorque un Sherman tombé en dehors du chemin dans une fondrière. Le barrage d’artillerie est toujours aussi dense. Les obus crèvent avec fracas le tapis vert de la plaine à travers laquelle les derniers fantassins se replient, jaillissant d’une touffe d’herbe ou d’un trou d’obus pour retomber dix mètres plus loin. L’ordre en ayant été donné, les éléments de la colonne, protégés par notre feu, se retirent à l’abri du bois et s’en retournent prendre les positions d’où ils sont partis. L’artillerie lourde, fatiguée, progressivement se tait. De leurs canons anti-chars, les boches tirent encore de la droite du village mais ils sont cachés au point qu’ils ne peuvent plus pointer leurs pièces. Leurs obus à traceurs, comme de petites balles de feu, passent sifflant, un rien à notre droite, un peu haut.

Maintenant, il ne reste plus avec nous que notre protection qui, par solidarité, nous attend pour partir ; et, dans les derniers éclats du jour, le boche encore tremblant, du fond de son abri, à dû voir, au bout du chemin luisant, fulminant dans les lambeaux de fumée blanche qui traînent et s’accrochent à leur blindage sombre, les trois T.D. têtus battre lentement en arrière, patin par patin, guidés par les gestes précis de leur lieutenant, calme, tranquille, toujours aussi absolument « formidable ».